samedi 12 avril 2008

Entre instruire et éduquer

Lorsque j'ai obtenu mon diplôme d'instituteur, ma grand-mère qui avait presque quatre-vingt-ans fut très fière de son petit-fils. C'était un noble et utile métier que d'instruire les enfants.
Et comme pour me prouver que j'entrais désormais dans une corporation indispensable à l'édification du genre humain, elle entreprit de me réciter quelques leçons d'histoire apprises à l’école primaire d'antan. Elle y parvint. Elle se souvenait. Sa mémoire retrouva le rythme de l'énonciation, la musique de la leçon, si semblable à celle des tables de multiplication, puis petit à petit les mots qui constituaient le résumé d'une leçon peut-être plus marquante que les autres : "Saint-Louis fut le meilleur des rois de France. Il était très pieux. Il soignait les malades et faisait la charité aux pauvres. Saint-Louis fut le plus juste des rois. Il punissait les grands seigneurs qui faisaient tort aux pauvres gens."
J'ai demandé à ma grand-mère de m'en raconter un peu plus sur cette période historique qu'elle semblait priser. Hélas, elle ne conservait de cette évocation scolaire qu'une litanie de phrases à laquelle adhérait une pauvre représentation de l'histoire de France. Une musique d'ambiance et quelques lumières clinquantes et accrocheuses. Saint-Louis, le chêne de justice, la bonté royale, oui. Mais l'inégalité de la société féodale, la puissance de l'église et la folie des croisades, rien.
Je n'ai jamais oublié les leçons d'histoire de ma grand-mère. Et lorsqu'aujourd'hui j'évoque le règne de Louis IX dans ma classe, j'essaie toujours d'imaginer ce que mes élèves raconteront de leurs souvenirs scolaires à leurs petits-enfants. Plus qu'une enfilade de dates instituant l'intelligence des champions des jeux télévisés, ou des chroniques mythiques douteuses nourrissant des idéologies incertaines, j'aimerais qu'ils gardent en mémoire la complexité des sociétés humaines et l'insignifiance des jugements définitifs, des pensées uniques et dogmatiques qui accablent les hommes d'ici, d'ailleurs ou d'autrefois. Oui, j'apprécierais qu'ils aient au moins conservé un soupçon d'esprit critique, cette capacité à n'accepter aucune vérité sans s’interroger sur sa valeur. Il me semble que cela s'apprend à l'école. Ou du moins cela s'apprenait-il. La lecture des récentes décisions ministérielles, et notamment celle des "nouveaux programmes", me fait craindre le pire quant à la survie de cette compétence. Si l'on attache encore un peu d'importance aux poids des mots, l'"éducation civique" et la "morale" suffisent à nous renseigner sur ce qu'ils veulent faire de l'école de la République.

2 commentaires:

Jean-Philippe Roy a dit…

Cher Bertgim,
Quelques remarques:
1) Je suis bien d'accord avec l'idée centrale de ce post, me semble t - il, à savoir que la vertu principale de l'école républicaine est de former des citoyens libres, donc de développer leur esprit critique.
2) En arrière plan, il pose une question pédagogique qui me semble à la fois essentielle et redoutablement ardue : comment enseigner la complexité du réel? Cette question me semble être "la question pédagogique" par excellence, car elle se pose quelque soit le niveau de public auquel on s'adresse.
Un commentaire, c'est trop court pour la traiter, mais je propose une piste de réflexion "psychologisante" : il me semble qu'un des problèmes est lié au fait que la complexité est, par nature, ce qui excite l'intérêt intellectuel de celui qui a déjà une formation. C'est sans doute aussi l'un des moteurs de l'apprenant. Mais pour ressentir la complexité et le désir de savoir, encore faut il que les repères usuels de perception soient déjoués par le réel, en d'autres termes que le réel apparaisse comme une énigme que l'on désire résoudre.
Par conséquent, je crois qu'un minimum de repères basiques sont nécessaires, ne serait ce que parce qu'il faut qu'ils soient subvertis par le réel pour générer et prolonger le désir d'apprendre.
3) Quant à Saint Louis, le chêne, la main de justice, les glands etc..., il s'agit, me semble t - il d'un problème de communication institutionnelle. N'oublions pas que l'histoire enseignée dans l'école de Jules Ferry, avait aussi une fonction de "marketting" de la République. Car l'enjeu républicain est au coeur de la politique à cet époque et que l'école est l'outil de ce combat. D'ailleurs, même si Saint Louis, etc..., ça fait un peu ridicule aujourd'hui, les iconographies des manuels d'histoire étaient très largement inspirées d'un outil de communication républicaine : la fameuse imagerie d'Epinal.
Heureusement l'Ecole des Annales est passée par là, la vidéo, la TV, internet, etc...
Il reste à mes yeux, qu'un "minimum minimorum" de savoir chronologique est nécessaire. Sans défendre bien sûr, les simplismes "Darcososarkoziens". Je parle là de ces fameux repères nécessaires pour se faire prendre et interroger par le réel.

Jean-Charles BOILEVIN a dit…

Cher Bertgim,

Tout d'abord, et ce n'est pas flagornerie de ma part, félicitations pour cette initiative de mise en ligne d'un espace de réfexion et de débat sur l'enseignement.

Maintenant, justement, débattons. Mâme si je n'ai enseigné que quelques années, et la matière assez particulière que sont les arts plastiques, je propose d'apporter ma contribution à ta réflexion. Je crois qu'il ne faut pas opposer les choses. Réfléchir, exercer son esprit critique, bien sûr, est nécessaire et l'enseignant doit y conduire. Mais cet esprit critique doit bien s'exercer sur des bases. Je dirais que l'apprentissage de l'histoire passe par l'apprentissage d'un certain nombre de dates et de faits, qui seront des repères, et l'analyse d'un certain nombre de valeurs marquant chaque époque, ce qui permettra de relativiser. Ce qui a manqué dans les apprentissages de ta grand-mère, c'est sans doute le deuxième volet. Mais pourquoi sacrifier le premier ?

Même chose pour toutes autres matières, math, français, ou même arts plastiques. Comment rédiger une rédaction sans vocabulaire, sans orthographe, sans grammaire ? Connaître les lois de la perspective, l'anatomie et le cercle chromatique n'empêche en rien l'imagination, bien au contraire, il me semble.

Quant à "placer l'élève au centre du système éducatif", la formule me chiffone un peu. Pour moi, l'élève n'est pas une fin en soi. C'est un apprenant, un futur sachant c'est-à-dire un être qui maîtrise des données précises et une capacité à réfléchir à partir de ces données. Et c'est cela qu'il me semble qu'il faille mettre au centre du système éducatif : les matières enseignées. Il ne s'agit pas de dénier aux élèves leur individualité et de ne pas adapter son enseignement en fonction de chacun. Mais le maître et les livres en savent un peu plus que l'élève, non ?

A bientôt j'espère.
Jeanchboil